Le festivalisme à Bukavu : célébration culturelle ou simple copier-coller ?

Cette image est utilisée en titre illustratif et générée par l'AI

La scène culturelle de Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu en République Démocratique du Congo, connaît un essor palpable ces dernières années. De nombreux événements sont organisés chaque année, du cinéma à la musique, en passant par la danse et les arts visuels. Pourtant, un phénomène inquiétant émerge dans ce foisonnement culturel : l’usage excessif et quasi systématique du mot « Festival » pour nommer les événements. Ce qui devrait être un élan de créativité devient ainsi une pâle imitation des autres événements sans réelle originalité.

Un mot devenu un réflexe : « Festival »

Dans cette jungle événementielle, un constat se fait rapidement : presque tous les opérateurs culturels, petits ou grands, semblent croire qu’un événement n’est valable que s’il s’intitule « Festival ». C’est ainsi que l’on retrouve une pléthore de manifestations, allant des festivals de musique aux festivals de théâtre, sans parler des festivals de mode, de littérature ou de danse. Un mot qui, loin de véhiculer une réelle identité ou une démarche créative, devient un automatisme qui, semble-t-il, attire le public par sa connotation positive et prestigieuse.

Mais pourquoi cette obsession du mot « Festival » ? Serait-ce une question de mode ou, pire encore, de manque d’imagination ? Est-ce vraiment le seul terme capable d’attirer l’attention du public, ou n’aurions-nous pas, dans la richesse de notre patrimoine culturel, des termes ou expressions propres à nos communautés qui pourraient mieux décrire ces événements ?

Une panne d’inspiration culturelle ?

À force d’enchaîner les « Festivals », on pourrait se demander si les organisateurs d’événements à Bukavu ont une réelle volonté de se distinguer ou s’ils sont simplement dans une logique de répétition sans réflexion. Les résultats de nos entretiens avec des journalistes culturels, des artistes et des consultants en communication évènementielle ne font que confirmer cette tendance. Beaucoup d’entre eux pointent une réelle « panne d’inspiration » chez les opérateurs culturels, qui préfèrent opter pour la facilité en utilisant un terme générique comme « Festival », plutôt que de se risquer à inventer un nom propre à leur événement.

Un autre aspect évoqué est la paresse intellectuelle. Il est plus simple de coller l’étiquette « Festival » sur un événement que de réfléchir à un concept ou à une appellation originale qui pourrait mieux rendre compte de l’identité de l’événement ou de la culture qu’il est censé célébrer. Ce « copié-collé » devient ainsi un frein à l’innovation, et à long terme, il risque d’étouffer la diversité et la richesse des propositions culturelles de la ville.

L’héritage culturel de Bukavu : un trésor inexploité

Bukavu est une ville riche de sa diversité ethnique et culturelle, notamment avec ses deux grandes communautés, les Shi et les Lega, dont les traditions et le patrimoine offrent une multitude de pistes créatives pour des événements qui célèbrent cette richesse. Pourquoi ne pas puiser dans les langues locales, les coutumes ancestrales, ou les rituels traditionnels pour donner une identité propre à chaque événement culturel ?

Les opérateurs culturels pourraient, par exemple, explorer des termes comme « Bishenge » (signifiant « fête » ou « célébration » en langue Lega), ou « Bamikuto » (terme qui pourrait désigner une grande rencontre ou rassemblement en langage Shi). En réinventant et en valorisant leurs propres racines culturelles, ils ne se contenteraient pas de suivre une mode, mais contribueraient également à la préservation et à la mise en valeur des patrimoines immatériels locaux.

Et ailleurs ?

En comparant avec d’autres provinces et villes du pays, force est de constater que certains opérateurs culturels ont osé briser cette barrière et se sont affranchis du « carcan du Festival ». Prenons l’exemple de Kinshasa, où plusieurs événements portent des noms distincts, en phase avec les spécificités locales et l’identité des communautés qui les organisent. Le « Festi-Kin », par exemple, est un événement qui se veut être à la fois une célébration de la musique, de l’art et de la culture urbaine, tout en se détachant du terme « Festival ». Ce genre de démarche permet non seulement de se distinguer, mais aussi de créer des marques reconnaissables qui portent l’âme de la ville.

L’orgueil culturel ou l’esprit de communauté ?

Certes, l’organisation d’un événement à grande échelle nécessite des ressources considérables, mais cela ne doit pas se traduire par une uniformisation de la pensée. L’événementiel devrait être un moyen de propulser les valeurs culturelles de chaque communauté, mais aussi un vecteur de changement et d’innovation. Or, à Bukavu, l’auto-copie qui se généralise risquerait à terme de nuire à cette dynamique. Une ville riche en culture ne doit pas se contenter de dupliquer ce qui existe ailleurs, mais plutôt chercher à renforcer son identité culturelle et à se positionner comme un pôle créatif en Afrique centrale.

En fin de compte, l’événementiel ne doit pas être perçu comme une simple copie ou une mode passagère. C’est un moyen puissant de donner voix à une culture, de redonner fierté et visibilité à des pratiques ancestrales et de bâtir une identité commune. À Bukavu, il est plus que jamais nécessaire de repenser cette approche, de sortir du carcan du « Festival » et d’oser des appellations originales qui reflètent la singularité de ses traditions et de ses habitants. Car comme le dit si bien le proverbe : un peuple sans culture est un peuple condamné à disparaître.

En attendant, la question reste posée : à quand un événement véritablement unique à Bukavu, qui ne se cache pas derrière un nom universel, mais qui se réinvente chaque année, plus fier de ses racines, plus fier de son histoire ?

#La voix d’attraction

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