A Musanze, au Rwanda, plus de 40 jeunes femmes venues du Nord et du Sud-Kivu ont suivi une formation intensive en agrobusiness organisée par le CIAT. Entre partages d’expériences, découvertes et pitchs inspirants, ces futures entrepreneures ont appris à faire du haricot bien plus qu’une simple culture.

Dans la salle de conférence de l’hôtel Fatima, pendant cinq jours, du 30 septembre au 4 octobre 2025, des jeunes femmes du Nord et du Sud-Kivu ont pris part à une formation unique en son genre : l’agrobusiness au féminin, portée par le Centre International d’Agriculture Tropicale (CIAT) à travers son projet : Culture du haricot et empouvoirement des femmes (B4WE) à l’Est de la République Démocratique du Congo.
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Dès l’ouverture, les objectifs du projet, les zones d’interventions et la présentation de l’équipe de CIAT dans le cadre du projet B4WE a été présenté. La vision du projet a organisé cette formation a été annoncée clairement juste au début de la formation proprement dite.

« Le haricot n’est pas seulement une culture vivrière, c’est une culture capable de transformer la vie des ménages. A travers cette formation, nous voulez que vous ne puissiez plus cultiver le haricot seulement pour en manger dans vos ménager, mais que vous en fassiez un vrai business pour devenir autonomes financièrement », a rappelé Paulin, responsable de la composante agrobusiness du projet B4WE/CIAT.
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Entreprendre, c’est aussi se formaliser
L’un des moments forts a été le module animé par le Professeur Paterne Murhula, consacré aux questions légales et à la procédure d’égalisation des documents d’entreprise. Il a insisté sur un message souvent négligé dans le processus de création d’une entreprise par les jeunes entrepreneurs locaux en RDC.
« L’égalisation des documents n’est pas une option, c’est une obligation. Une entreprise, une association ou une société qui n’est pas légalisée n’existe pas aux yeux de la loi. Et si elle n’existe pas légalement, elle ne peut pas inspirer confiance aux clients ni aux partenaires », fait savoir paterne.
Relançant sur la question des obstacles rencontrés par les femmes, le professeur a reconnu que les démarches administratives restaient lourdes, mais qu’elles étaient un passage obligé vers la crédibilité.

« Ce n’est pas la passion seule qui fait avancer un projet, mais une vision claire, une stratégie adaptée et la rigueur. Chaque entrepreneure doit apprendre à défendre son idée avec des papiers valides et une structure solide », dit-il avec conviction.
Ces propos ont suscité un vif intérêt. Plusieurs participantes ont proposé la création d’un groupe de veille juridique pour accompagner les jeunes femmes dans leurs démarches de formalisation.
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Innover pour répondre au marché
Le Coach Odon Kambale, intervenant sur les thématiques du marché et du design thinking, a apporté une dimension pratique et moderne à la formation. Il a invité les femmes à se mettre « à la place du client » et à repenser leurs produits à partir des besoins réels.
« Un bon produit, ce n’est pas celui qu’on aime produire, mais celui que le marché attend. Avant de fabriquer, il faut comprendre qui va acheter, pourquoi, et à quel prix. »
À cette remarque, Madame Garcia Kabila, entrepreneure d’épicerie, a partagé son dilemme à auquel elle fait face dans la ville de Bukavu où elle exerce son business.
« Beaucoup aiment mes produits, mais se plaignent du prix. Je ne sais pas s’il faut baisser la qualité ou chercher d’autres clients », dit-t-elle avec attention.

En réponse, Coach Hilaire a proposé une approche simple mais stratégique pour pallier à ce problème qui est fréquent chez beaucoup d’entrepreneurs locaux.
« Il ne faut pas baisser la qualité, mais ajuster la stratégie. Peut-être réduire certains ingrédients, identifier la clientèle cible ou s’approvisionner localement. Le secret, c’est de connaître son marché avant d’y entrer », répond-t-il.
Ces échanges spontanés ont permis à chacune de confronter ses réalités à celles des autres, créant une intelligence collective autour des défis de la commercialisation.
Quand la créativité devient outil de changement
Le module sur le design thinking a attiré l’attention dans la salle. Pour plusieurs participantes, c’était la première fois qu’elles entendaient parler de cette méthode centrée sur l’humain, la créativité et la résolution de problèmes.
« Le design thinking m’a ouvert les yeux, j’ai compris qu’il faut d’abord observer les habitudes alimentaires des gens avant de produire. On ne peut pas imposer nos idées, il faut comprendre la réalité des consommateurs entre autres faire l’étude du marché », confie Safi, jeune transformatrice de haricots.

Son témoignage a été complété par celui de Wivinne, qui a insisté sur la force du travail collectif
« Travailler en équipe, c’est partager nos expériences, mais aussi nos erreurs. Quand on réfléchit à plusieurs, on trouve des idées que seule, on n’aurait jamais eu. »
Ces échanges démontrent que le passage de la simple production agricole à la réflexion entrepreneuriale exige un changement de mentalité profond, que la formation a su amorcer avec succès.
De l’idée au business plan
Au fur et à mesure des jours, les participantes ont transformé leurs idées en projets concrets. Encadrées par les différents formateurs présents, ils ont appris à construire un business plan réaliste et à présenter un pitch convaincant.
« Un bon business plan n’est pas un rêve écrit, c’est une route à suivre, Il faut savoir où l’on va, combien cela coûte, et comment on y arrive », a souligné le coach Odon.
Pour Furaha, venue du Nord-Kivu, cette formation a changé sa manière de voir son activité. Une déclaration qui illustre l’esprit de cette initiative qui place les femmes au cœur d’une agriculture rentable, durable et innovante.

« Avant, je cultivais et vendrais sans stratégie. Aujourd’hui, je comprends que le haricot, c’est aussi un vrai business. Ce n’est pas seulement pour nourrir nos enfants, mais pour construire une vie meilleure pour moi et ma famille. Je vais commencer à protéger nos sols, transformer nos produits et vendre intelligemment », explique-t-elle.
De son coté, Rosine, participante de Bukavu, a témoigné de son apprentissage qu’elle avait raté une opportunité d’investissement faute d’un plan clair. Maintenant, un investisseur ne mise pas sur les intentions, mais sur la préparation. Je repars avec la conviction que je dois défendre mon projet avec des chiffres et une vision. »
Des défis réels mais un espoir collectif
Les discussions ont aussi révélé les obstacles qui freinent encore les femmes rurales comme ce dernier temps ou l’est de la RDC, il y a l’insécurité persistante, accès difficile à la terre, manque d’intrants, rareté des institutions financières locales.
« Il est difficile d’avoir un compte bancaire chez nous. Les banques ferment à cause de la guerre. Cela nous empêche d’épargner et de sécuriser nos revenus. Mais malgré tout, nous continuons, parce que c’est notre avenir qui est en jeu », a confié Nyota, par exemple.
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Une déclaration qui a touché l’auditoire. Paulin, responsable de la composante agrobusiness chez CIAT/B4WE, a répondu avec encouragement :« Ces défis sont réels, mais ils ne doivent pas être des barrières. Chaque femme ici est déjà une solution en soi. Ce que vous apprenez aujourd’hui fera la différence demain. Continuez à produire, à innover et à croire en vous », dit-il.

À la clôture de cette formation, Adebola Awotide team leader du projet B4WE-CIAT, a salué la détermination des participantes et promet que cette formation n’est que le début d’un long processus d’incubation du projet B4WE.
« Merci beaucoup pour votre assiduité pendant ces 5jours de la formation intense, merci à tous les formateurs qui vous ont transmis la connaissance. Nous espérons que chacun de vous sera capable de restituer les connaissances apprises aux autres membres de vos coopératives, et nous allons continuer à vous accompagner pour se rassurer de la matérialisation de ce que vous aviez appris », rassure-t-elle lors de sa prise de la parole.
Elie CIRHUZA


